Ce libraire, ancien camarade/ Par Slemnia Bendaoud
Farid Saadoun est de ceux qui ne parlent pas beaucoup, même s’il a gros sur le cœur. Une autre raison pour lui pour probablement choisir ce métier qui lui évite l’usage assez fréquent de la parole.
Notre libraire n’est pas sourd au point où il ne vous entendra pas quand vous le sollicitez pour un besoin très particulier. Ni même bien muet pour vous faire l’économie d’une quelconque discussion au sujet d’un ouvrage exposé sur son étalage, souvent bien achalandé.
Farid n’est pas avare en mots doux, courtois et savants, ceux longtemps puisés dans les livres qu’il vend. Il discute certes très peu parce qu’il lit beaucoup, s’instruit énormément.
De nature calme, il parle surtout utile. Ce sont ses produits qui vous causeront aussi longtemps que vous le désireriez, si jamais vous cherchez après une quelconque information ou même titre de conversation. Seulement, ils sont tous comme lui : bien calmes et très discrets.
Je ne vous dresse pas le portrait d’un gars que j’ai connu, il y a tout juste quelques années seulement. J’essaie plutôt de faire la caricature d’un ami d’adolescence et de jeunesse, camarade de classe, partageant avec moi la même table de classe, au lycée Mustapha Ferroukhi de Miliana, au tout début des années soixante-dix du siècle dernier.
Perdu de vue pour une très longue durée, je le revois par accident, plus d’une génération plus tard. Un hasard ! Comme il y en a tellement dans la vie des gens.
Etant moi-même un rat des bibliothèques, je ne pensais jamais trouver mon ancien camarade de classe sur mon chemin préféré, dans mon propre univers, celui privilégié, comme propriétaire d’une librairie installée au premier étage du marché de Cherchell.
C’était là où m’avait mené, un jour, sans le savoir, un ami commun sans me citer le nom de notre hôte, laissant libre court à l’effet de surprise.
Depuis, on a donc renoué avec cette amitié qui devait être suspendue pour un long bagne, du fait que nous nous trouvions à la croisée de nos chemins, au moment où il fallait choisir son métier à travers ce cursus de formation qui allait nous être dispensé.
C’est alors que je venais si souvent lui rendre visite, profitant de sa proximité de la mer. L’été était donc la période propice à nos retrouvailles, mais cela n’empêche que je lui rendis tellement visite durant mon temps libre, que nos entrevues se déroulaient souvent en hors saison. A l’improviste pour être plus précis !
Seulement, il était tellement généreux –tel que je l’ai toujours connu, en tout cas- que je repartais souvent de chez lui avec ces inestimables présents, de véritables cadeaux de grand intérêt sous forme de bien réels trésors littéraires.
Il me savait papivore et s’arrangeait souvent pour m’offrir le dernier cri, le titre qui faisait l’écho de l’actualité, celui me faisant vibrer, celui le plus médiatisé, le plus demandé, le mieux lu, le tout récemment plébiscité.
Ses offrandes étaient toutes très utiles, magnifiques, puisque bien choisies, assidument sélectionnées, à la peine recommandées, triées sur le volet et scrupuleusement fouillées.
Il ne pouvait se tromper, il était ce vaillant libraire, bien fouineur, lettré, intéressé, bien servi par son métier, suivant à pas de loup toutes les récentes nouvelles de la belle littérature.
Cependant, il ne voulait jamais que je lui paie le moindre ouvrage, mettant cela sur le compte de cette vieille amitié dont le temps trop long qui s’est depuis écoulé n’a pu l’éculer, l’éroder, jamais l’altérer.
Son comportement me dérangeait, m’indisposait vraiment. Chose qui m’obligea à distancer mes visites, afin de ne pas trop l’incommoder. Pour ne pas trop le gêner, me disais-je.
Je ne rompis pas totalement mes visites à sa librairie, seul leur intervalle s’était un peu plus étiré dans le temps. Il en prit d’ailleurs bonne note. Et en retour, il me doublait tout simplement le quota. C’était soit le volume, soit le nombre de bouquins qui augmentait.
Devant pareille considération, je ne pouvais que m’incliner. Il était vraiment brave, puisqu’il me livrait tout un trésor, des semaines auparavant soigneusement bien gardé.
Offrir des livres à quelqu’un qui ne sait rien faire d’autre chose que de les lire, les étudier parfois, ne pouvait que me réjouir. Surtout que la source –très généreuse, au passage- n’est autre qu’un ancien camarade de classe avec qui j’ai pu partager les meilleurs moments de ma jeunesse : le parfum de notre adolescence !
Avant de le revoir de nouveau, je gardais de lui cette haute qualité de brave et généreux garçon. Des années plus tard, je retrouve chez lui le caractère d’un homme mûr, trempé dans cet acier qui ne tord jamais, gardant intact ce qu’il savait si bien entretenir des années durant comme valeur humaine alors qu’il était encore tout jeune adolescent.
Et ni l’apport de l’âge ni même l’impact très négatif de la misère endémique qui frappe à nos portes n’ont pu le détourner de ses qualités humaines extraordinaires qu’il a su longtemps bien les conserver.
Farid est peut être un gars unique en son genre. C’est d’ailleurs son nom qui l’indique. Sans jamais rien recevoir de ma part, il continue à de nouveau m’offrir ces valeureux bouquins au nom de la seule amitié qui nous lie encore et toujours. Et … probablement au sens donné à la littérature qu’il exerce comme noble métier.
Après le lycée, il a fait des études supérieures en commerce. Et comme le volet humain de la vie pèse beaucoup trop sur son comportement et tempérament, il a choisi ce petit métier bien loin du commerce sauvage qui attire ses semblables chez qui le lucre et le sucre déterminent l’essentiel de leur quotidien.
Aujourd’hui, l’enfant de Cherchell se consacre corps et âme à l’histoire et à la culture de sa ville natale. Les flux et reflux d’hommes de lettres, de sciences et de grandes consciences de la région qui lui rendent ces visites hebdomadaires en témoignent de cet intérêt devenu croissant avec l’expérience acquise.
Plus que des livres, à chacune de mes visites c’est un ou plusieurs anciens camarades de classe que je retrouve chez lui. Parfois des personnes qui comptent beaucoup dans le monde des arts, du sport et de la culture.
L’esprit ouvert, le cœur large, le caractère très courtois, Farid est toujours resté accroché à ces qualités humaines de la vie qui font de lui un homme très singulier.
Pour preuve : il a choisi de vendre seulement des livres ! Une autre manière de bien filtrer sa clientèle dans ce monde de l’inculture !
Commentaires (6)

- 1. | 18/10/2015

- 2. | 01/06/2014
Il m’a dit je vais te rappeler ce livre que même tu n’as pas voulu le rendre.Ce jour là, IL me dit ,on s'est dirigé à la bibliothèque ,moi j'ai chois "les derniers jours de Pompéi" et toi m'a t il dit c’était "Les clameurs se sont tues". Et bon dessinateur que tu etais ,tu as dessiné le jeune taureau sur un de tes cahiers.

- 3. | 01/06/2014

- 4. | 01/06/2014

- 5. | 01/06/2014

- 6. | 01/06/2014
C'est en fouillant dans notre site que je suis tombée sur la merveilleuse histoire du libraire!
C'est devenu tellement rare! le nombre de librairie se réduit à vue d'oei. elles laissent malheureusement la place aux fast-food! la culture du ventre et la culture de l'esprit! cela ne fait pas bon ménége!
mais , je reste dans l'univers magique et tellement constructif des livres:[urlhttp://safiabz.blogspot.com/2015/06/ils-mont-marqueeacte-xviii.html][/url]