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Sources et Vergers

Dédicace

À Aliénor,

à Elias,

à Léon

Je vous invite à découvrir un témoignage sincère et intime sur la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’indépendance de l’Algérie, à travers les yeux de l’auteur, Jean Frattoni. Ce récit, ni historique ni fictif, nous plonge dans ses souvenirs personnels, ses émotions et les événements marquants de son enfance et adolescence.

Frattoni, avec une grande précision et sans idéalisation, nous fait revivre cette période, en se concentrant sur les détails qui rendent ce passé plus vivant et tangible. Un livre poignant qui, grâce à la pandémie, a vu le jour après un travail de mémoire et de reconstruction minutieux.

Sources & Vergers

Introduction

Le présent récit couvrira la période écoulée entre la fin de la seconde guerre mondiale et l’indépendance de l’Algérie, en 1962, ce qui correspond à mes dix-sept ou dix-huit premières années. Il ne s’agit ni d’un document historique ni d’une fiction, mais d’une relation aussi fidèle que possible de ce que j’ai alors vécu ou ressenti, ou dont j’ai eu connaissance. On peut à son gré la lire en continu ou dans le désordre, chaque chapitre ayant son unité — pour faciliter leur repérage une table est donnée en fin d’ouvrage.(1)

Les faits rapportés, les lieux, les dates, les noms eux-mêmes sont exacts. Je n’ai rien ajouté à la réalité, ni rien modifié. Sauf exception je me trouve avoir bien connu les personnes évoquées et leur cadre de vie, et je disposais en outre, pour étayer mes souvenirs, d’une abondance de photos. Un petit nombre de témoignages extérieurs ont été recueillis pour préciser certains points, et j’ai également utilisé des documents écrits sur le vif, dont surtout un important ensemble de lettres de Maman à ses parents.

(1) On trouvera, si on le souhaite, un récit de la vie des générations qui nous ont précédés dans les trois volumes à usage privé intitulés « Notre famille », et une évocation stylisée de leur époque et de la nôtre dans mon « un peu de séjour ».

Tout le reste a reposé sur un travail de mémoire, et parfois de reconstruction pour refléter les sentiments ou les pensées. Dans cet effort mon frère Albert m’a constamment soutenu, et il a surtout partagé avec moi ses propres souvenirs d’une période que nous avons vécue côte-à-côte presque intégralement. Quant à notre frère Pierre Ivan il a quitté l’Algérie très jeune, malheureusement sans avoir pu connaître l’insouciance de nos premières années.

Une des difficultés a été d’éviter de projeter sur le texte des impressions ou des réflexions venues plus tard, mon souci étant, dans toute la mesure du possible, de restituer l’état d’esprit de l’époque. Il en résulte notamment que je ne nous ai pas fait paraître plus conscients que nous n’étions du cadre historique et sociologique. Plus difficilement encore, je me suis efforcé de ne pas trop idéaliser cette évocation du passé.

Tout au long du récit il a été décidé de ne pas se refuser aux détails, et même de les rechercher, d’abord parce qu’ils confèrent au texte son authenticité, mais surtout parce qu’ils se rattachent aux faits et gestes d’une société aujourd’hui disparue. Les détails en acquièrent donc plus de relief.

Ici en effet le passage du temps n’a pas seulement effacé des personnes, comme cela aurait été le cas partout ailleurs, mais une communauté tout entière (en l’occurrence la communauté européenne d’Algérie), sa façon d’être, le nom de ses rues et de ses villages, ses lieux de culte, ses cimetières, ses rêves aussi, et tous les liens tissés avec la communauté indigène.

Enfin il faut préciser que sans la pandémie, qui nous a immobilisés et isolés si longtemps, il aurait été difficile de trouver la capacité de revenir aussi intensément sur ce passé, et la persévérance nécessaire pour conduire le projet jusqu’à son terme.

Chapitre 1 : Présentation

Nous avons été élevés, mes frères et moi, dans un cadre culturel français, au sein de la moyenne bourgeoisie, et nous sommes issus de parents qui avaient fait l’un et l’autre des études supérieures. Cela, nous l’avions en commun avec les enfants élevés partout dans des milieux comparables.

Nous avons également connu avec eux, Albert et moi surtout, ces années qui ont suivi la seconde guerre, période de relative prospérité économique mais aussi d’affrontement entre « le monde libre » et le bloc communiste, et marquée par l’émergence du tiers-monde. C’était une époque ignorante des grands phénomènes qui structurent largement notre société, et fondamentalement, malgré la radio, l’avion et la bombe atomique on pourrait dire que c’était encore le monde « d’avant » — avant l’informatique, avant la société de consommation, avant la révolution sexuelle, avant la communication planétaire (téléphones mobiles, réseaux sociaux, Internet, et même télévision), avant les préoccupations climatiques et écologiques, avant la mondialisation.

Toutefois, dans ce contexte partagé, plusieurs caractéristiques importantes nous distinguaient des garçons de notre âge en France métropolitaine. C’est d’abord que, tout en nous sentant français, nous considérions l’Algérie comme notre pays.

C’est ensuite que nous vivions dans une société où cohabitaient deux communautés culturellement distinctes. L’une d’elles, l’européenne (la nôtre), de beaucoup la moins nombreuse, se trouvait pourtant être en position globalement dominante par rapport à l’autre, l’indigène — même si cet état de fait était loin de refléter la complexité et la profondeur des relations entre les communautés.

C’est enfin que la période couverte a été marquée chez nous par le conflit armé qui conduira à l’indépendance de l’Algérie et à l’exode des Européens (et des Israélites qui leur étaient depuis longtemps assimilés).

Le récit débutera au moment de l’installation de nos parents à Miliana comme médecins, en mai 1946. J’étais âgé d’un an, et Albert naîtra l’année suivante. On croyait alors que pour nous-mêmes et pour notre famille proche, établie elle aussi en Algérie, parfois depuis cinq générations, la vie se poursuivrait sur place très normalement. Toutefois, il n’en fut pas ainsi, et à partir de 1954 les épisodes successifs de la guerre vont rythmer notre existence pendant près de huit ans, et imprimer en nous une trace profonde.

La date choisie pour fin sera 1963 (sauf dans de rares cas où j’ai poursuivi au-delà), soit un an après l’indépendance de l’Algérie et notre départ du pays, de façon à pouvoir dire où et comment se sont établies en France les différentes composantes de notre famille.

 
 
 

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