Le piano D'ESTHER/ Relevé d'internet
Il est né à Miliana en 1949. Professeur en médecine interne, M'hamed Bouziane Larbi fait parti de ces hommes qui empêchent la mémoire de succomber à l'oubli. Il la secoue violemment pour qu'elle reste en éveil. Il est tenté par l'impossible : faire oublier à l'amnésie sa raison d'être. Sous sa plume, elle est réduite à sa juste expression.
Histoire mouvementée d'un Milianais avec sa voisine Juive
L'histoire racontée par l'auteur est celle des amours maudites : « Celui d’un Arabe pour sa voisine juive, celui d’un exilé pour sa ville avec, pour toile de fond, l’intolérance, la haine et la violence, sentiments qui composent le cortège des sociétés troublées. » Hakim est un jeune médecin qui s’installe à Marseille. Il arrive à décrocher un poste dans un hôpital. Un jour, il sauve la vie d’une vieille femme juive Esther.
Extrait du livre
Chapitre 1
- Bon Dieu ! Pas si vite, Christian ! On va se planter. S‘écria en se cramponnant à son siège.
- Ne l'inquiète pas ma belle ! Fait fait ça toute ma vie, répondit le chauffeur en accélérant de plus belle. Il y a urgence, n‘est-ce pas Doc ?
Hakim ne répondit pas. Il avait fini par s'habituer. Impassible il regardait s'enfuir les platanes du boulevard Baille, ffolés par les hurlements de l‘ambulance du SAMU 13 dont le gyrophare ensanglantait les immeubles endormis. Dans un crissement à faire pâlir d‘envie un ingénieur du son, le véhicule s‘arrêta, à la grande joie de Mary-Jo, devant le 43 rue Paradis, une artère qui n‘en finissait pas d‘étirer à travers Marseille.
Les trois urgentistes, s‘engouffrèrent dans le hall d‘un immeuble vétuste et, chargés de leur matériel, se lancèrent à l‘assaut de l‘étroit escalier qui les mena au troisième étage. Une jeune femme les attendait sur le palier.
- Merci d'être venu si vite, s'exclama-t-elle d'un ton oppressé. Une grande inquiétude n'arrivait pas à enlaidir son visage illuminé par de grands yeux noirs.
- Maman vient d‘avoir une attaque, leur dit-elle en les précédant dans le spacieux appartement. Nous étions en train de dîner en regardant la télévision quand elle s'est effondrée : je crois que c'est son coeur !
Ils entrèrent dans une chambre â la suite de la jeune femme dont la longue chevelure noire dansait au rythme de son empressement. Sur le lit, était allongée une vieille dame. Hakim eut, en la regardant une étrange sensation. Ce visage qui reflétait une grande souffrance comme en témoigne la crispation qui le déformait, se faufila dans sa mémoire. Il connaissait cette dame eu teint cyanosé dont les narines se pinçaient à chaque inspiration et dont la poitrine se soulevait avec peine, comme écrasée sous un poids énorme. Il connaissait ces mains diaphanes aux doigts interminables. Il connaissait ces longs cheveux envahis de grisaille qui disaient leur détresse de n‘avoir pas pu résister au temps. Hakim sentit les signes avant-coureurs du grand voyage. Il ferma les veux très fort. Le frisson commença son invincible cheminement le long de l‘échine. Lorsque l'étreinte fut complète, enserrant la tête et envahissant le cerveau. Le médecin prit le chemin de son passé.
Chapitre 2
Les maisons ont-elles une mémoire. Que ressentent-elles à la veille de leur destruction ? Le film de leur vie se déroule-t-il devant leurs veux comme cela se passe pour l'homme ? Hakim avait bien souvent, vécu ces moments de vérité, brefs et intenses, pendant lesquels, les notions fondamentales de l'existence prennent le dessus sur les futilités qui empoisonnent le quotidien des êtres humains. Très tôt, il avait fait la connaissance de l'odeur âcre et fétide de la mort. Sa prime enfance en a été fortement imprégnée. 11 savait que 1e point filial, l'aventure ultime pouvaient survenir â tout instant. Il avait appris, au décours de ces fractures du destin que les seules certitudes étaient celles générées par l‘amour et la tolérance. Debout devant la grande porte noire et muette, annoncée par deux grandes marches en ardoise ébréchée. Hakim se posait toutes ces questions tandis due sa main, moite d'émotion, étreignait la grosse clé en fonte due venait de lui remettre la voisine chargée de veiller sur la vieille dame; déshabitée depuis presque trente ans. Avant de l'introduire dans la serrure, il se tourna vers la maison d'en face, là où il avait passé les moments les plus étonnants de son enfance, auprès de celle qui avait nourri d'affection et de musique, celle qui l'avait serré dans ses bras avant d'entamer son chemin de croix, chassée par les tremblements de l'histoire, le laissant au seuil d'une existence d'orphelin solitaire, errant de familles d'accueil en internats, de chambres de bonne en foyers universitaires.
Le camion de l'exil avait, plus d'une fois stationné là, au bord de l'étroit trottoir. C'est étrange! On s'en va toujours à i'orée du jour pour conjurer le sort, comme pour faire du départ une renaissance, alors qu'il s'agit d‘une déchirure mortelle. L‘enfance de Hakim avait été cisaillée par plusieurs départs. Cela se passait toujours de la même façon. Le petit garçon avait appris à reconnaître les prémices du grand chambardement. Mohamed, son père, rentrait le soir, l'air sombre et préoccupé. I1 répondait très distraitement aux sollicitations ludiques de son enfant unique, avalait rapidement sort repas et s'enfermait dans sa chambre. Cela durait deux au trois jours, puis un matin, la quiétude familiale, était rompue par les éclats d'une grande dispute sous le regard apeuré du petit.
- Partir ? Encore ? Partir pour aller où cette fois ?
- Là où je pourrais trimer pour vous apporter la pitance que vous avalez !
- Tu ne vas pas me dire que tu as quitté ton travail à la mine ?
Je n'ai pas quitté cet enfer ! On m'a mis à la porte, tu comprends, mis à la porte. Je ne peux plus descendre au fond, car il n‘y a plus rien à gratter dans cette maudite mine qui a tué mon père et le père de mon père. Elle ne m'aura pas, mai aussi, cette mangeuse d'hommes. C'est un signe du destin et notre destin est ailleurs. Alors ne discute pas et emballe les affaires. Je vais m‘absenter deux ou trais Jours et quand je reviendrai je veux que tout soit prêt. Tu as compris ?
- Je suis maudite, reprenait de plus belle Kheira, 1a maman de Hakim ! Mille fois maudite ! Ya Sid Ahmed Benyoucef(1), pourquoi m‘as-tu infligé une destinée pareille" Pourquoim me fais-tu souffrir depuis mes treize ans ? Je n'ai même pas eu le temps de vivre mon enfance.
- Tu as fini de te plaindre, cria Mohamed en se levant, l'air furibond ! Tu crois que je mène la belle vie ? Un fils solitaire, une femme qui n'a pas su me donner d'autres enfants et qui passe sa vie à geindre.
- Ce n'est pas de ma faute si la tuberculose est passée par là ! Et toi qui n'es jamais là ! J'ai été malade comme une chienne ! J'ai craché mes poumons devant 1'Œil indifférent de Lalla Zéhira qui ne répondait qu'à la voix suave de son mari, le caïd gras et libidineux, toujours vautre dans son lit à baldaquin avec pour seule occupation son chapelet et ses incantations, ce gros lard qui passe son temps, à guetter du coin de l'oreille le bruit des persiennes de la maison d'en face pour se précipiter dans l'espoir d'apercevoir Esther la catin.
- C‘en est trop, tu dépasses les bornes, hurla Mohamed en levant la main ! Tu vas la recevoir ta tannée …
À ce moment un piano se mit à égrener ses notes. La musique traversa la rue, envhit la pièce et couvrit de son harmonie les vociférations et les cris, opposant sa magie à la violence des gestes, retenant la main de l‘homme dont le visage se transforma comme sous l‘effet d‘un enchantement. Tous les protagonistes du drame naissant se figèrent : les mouches s‘arrêtèrent de voler ; le crieur public aveugle qui se tenait au coin de la rue de Tanger ravala son tonitruant « sardines au marché » ; le cheval harassé condamné à traîner le tombereau de l‘éboueur stoppa au milieu de la chaussée ; l‘éboueur oublia de lever son fouet sur la bête ; les gamins de houmma(2) suspendirent leur partie de foot et retinrent leurs grossièretés au portillon de leurs bouches adolescentes ; Ahmed Bounif, le chef de la bande qui' s'imposait à ses camarades plus par sa force que par son intelligence desserra ses doigts d‘autour de la gorge de Moh Smina, son souffre-douleur qui commençait à suffoquer ; P'tit Poucet qui s' imposait plus par sa ruse que par sa corpulence détourna les veux de la bagarre ; Omar le harki qui accompagnait les parachutistes en patrouille ne vit pas Khaled le collecteur de ronds destinés aux maquisards, qui passait pourtant tout près de lui ; Yamna pensait fort â Salim son amour d'enfance qui l'avait quittée pour un amour plus puissant en prenant tes armes ; Baya la voyante laissa tomber la main de Jeannine à qui elle prédisait une longue vie d'amour et de fortune ; Jeannine la blonde maîtresse du commissaire de police prit un air alangui face à son miroir qui ne se lassait pas du spectacle, de la poitrine généreuse et provocante à l'étroit dans la sortie de bain rose bonbon, cadeau de Si Belgacem le commerçant ; celui-ci stoppa son élan vers le bar de Gonzalez où l'attendait sa bouteille d'anisette ; Monique la serveuse laissa tomber le verre qu'elle était en train de laver ; les vieux, assis sur les bancs à l'ombre des platanes de la pointe des blagueurs se mirent à sourire béatement et se détournèrent de leur partie de cartes ; les oiseaux à l'abri des feuillages cessèrent leur chant ; le Zaccar, montagne déflorée et stérile, se pencha un peu plus sur la ville en faisant trembler le mausolée de Sidi Abdelkader ; la ville oublia de regarder la plaine du Chellif du haut de sa morgue acquise pour avoir été le fief de l'Emir ; l'horloge de la place décida de ne pas donner l'heure pour ne pas gêner la mélodie ensorceleuse qui prenait possession de la ville et des hommes : Esther, la belle juive aux cheveux noirs, s'était mise à son piano.
Commentaires
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- 1. Chantal Le 22/07/2020
Bonjour Noria,
Merci de nous faire partager régulièrement des rubriques que nous n'aurions pas lus !
En effet, je n'avais pas lu celle-ci qui date du mois de juin 2009 alors que ma découverte du site Alger/Miliana et mon premier message date du 27 avril 2012. Je ne connaissais pas non plus ce livre : "Le piano d'Esther" ! A la lecture de ces deux extraits, j'ai été tout de suite captivée par cette histoire et désireuse d'en savoir davantage … Je sais en conséquence ce qu'il me reste à faire ! lol !
Belle journée à toutes et à tous ! -
- 2. zemal Le 27/01/2013
j'ai lu le piano d'esther l'histoire et jolie et triste a la foi -
- 3. semmkam Le 03/04/2012
Pour b.houria
le roman "le piano d'Esther" est disponible dans certaines librairies d'Alger, il est édité Musk éditions. M.B.Larbi a aussi édité "les voix et les ombres" chez les éditions Dalimen en 2006, et "Serre-moi fort...j'ai froid" chez Alpha éditions en 2008. Voici un lien pour lire un extrait du livre sur mon site: http://miliana.comuv.com/m.B.%20larbi/m%27hammed%20bouziane%20larbi.htm -
- 4. semmkam Le 03/04/2012
ce résumé est assez maladroit à mon humble avis, car il a englobé toute l'histoire, enlevant ainsi la curiosité de savoir comment finira l'histoire. Le livres est beau en effet, mérite absolument d'être lu.
J'aimerai savoir si notre M'hammed Bouziane Larbi a édité ou non son roman intitulé "noyades et silences", son premier roman. Si oui, merci de m'indiquer la maison d'édition -
- 5. b.houria Le 23/01/2010
ou peut on trouver le livre:le piano d'esther?j'aimerais le lire. -
- 6. KHALFI Le 06/07/2009
Chère B.Houria
L'histoire du caïd m'a été racontée par mon père, qui faisait corps avec les zouaves, qui attendaient les khouanes à Aïn Torki. Ces derniers ont ajouté au nom du caïd "Aantri" c'est dire notre "Aatar" pour avoir défendu les manifestants...
Ziane Bouziane, reconnu Khaouni de Sidi Ahmed Benyoucef, a nommé l'ainé de ses enfants Aatri, ayant frère Bou-Aali, Merzouga. -
- 7. b.houria Le 29/06/2009
l'histoire du caid bouzar est-elle vrai,? -
- 8. KHALFI Le 25/06/2009
A Maubeuge, j'ai connu un maîtreplongeur, qui s'était évadé du Maroc.
Il était le fils d'un riche notable, qui en voulait à son fils amoureux d'une juive. Après de multiples tracasseries, celle-ci et sa famille ont fini par quitter le Maroc. L'amoureux en fit autant.
Avant de s'installer à Maubeuge, il était pareil au juif errant, à la recherche de son bijou, qui vivait enceinte avec son cousin, qu'elle quitta pour rejoindre son premier amour. -
- 9. KHALFI Le 25/06/2009
Cette histoire d'amour est précédée d'une autre, s'étant déroulée en 1901 entre le milianais Bouzar, caïd à Boumedfa et une juive, qui a rompu son mariage avec son avare et raciste partenaire. Après le suicide de celui-ci, son unique fils s'engagea tirailleur à Miliana.
Après la nationalisation des terres de la zaouia de Sidi Yaqoub, l'engagé renoua ses relations avec sa maman, mère de quatre garçons, issus du caïd. Cela lui a permis d'être à l'écoute des recommandations que le caïd proposait aux ex-fellahs, voulant récupérer pour les terres de la zaouia, afin que se maintienne l'éducation de leurs enfants et que se continue l'aide aux handicapés.
Les conseils du caïd ne devaient pas dépasser une pacifique manifestation à Miliana, sachant que le sous-préfet n'était qu'un lien avec le gouvernement.
Pour briser celle-ci, les khouanes étaient attendus à Marguerite, l'actuelle Aïn Torki. Après l'historique massacre, l'aîné de la juive fut muté ailleurs, pour servir de témoin...
L'amour entre le caïd et Mémona se conserva, mais, leurs enfants eurent du mal pour se dénicher des épouses, étant enfantés par une juive.
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