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Retour au village/ Mai 2025

 

Dans les plis de l’Ouarsenis, une âme en héritage

Mai 2025

Il est des lieux qui nous façonnent à distance, bien plus que nous ne les habitons. Le village natal de mon père, celui de mes grands-parents, blotti dans les plis solennels de l’Ouarsenis, m’habite ainsi : il est cette géographie intérieure, ce paysage de l’âme où chaque pierre vibre des échos transmis. En ce mois de mai, je m’y suis rendue, non d’un pas assuré, mais presque à pas feutrés, comme on regagne une terre sacrée, le cœur alourdi de souvenirs, l’esprit enveloppé de silences. Ce fut un pèlerinage intime, un retour aux sources d’une mémoire tenace, qui défie les années et transcende les distances.

Le village avait changé. Il s’était étendu, comme une peau neuve épousant des formes anciennes. De nouvelles maisons, claires, fières, dressaient leurs façades sous la lumière douce du printemps. Elles cohabitaient avec les anciennes, modestes, éprouvées par le temps : volets vacillants, murs crevassés, pierres burinées par les saisons. Une danse silencieuse s’ébauchait entre l’hier et l’aujourd’hui, une partition jouée sur le clavier du temps. Chaque fissure murmurait une histoire, chaque brique neuve portait la promesse d’un avenir.

Guidée par mes pas, curieuse et recueillie, j’ai parcouru les ruelles sinueuses du village. Le vent, ce vieux conteur, jouait dans les champs de blé ceinturant les maisons, transformant l’étendue verdoyante en une mer frémissante d’épis naissants. Cette mer végétale semblait parler, chuchoter des souvenirs que je n’avais pas vécus, mais que je reconnaissais pourtant : rires d’enfants courant pieds nus dans la poussière, journées longues et claires, suspendues dans un silence complice. Chaque brin d’herbe devenait page, chaque ondulation, un chapitre d’un récit sans fin. Au loin, les marabouts dressaient leur silhouette immaculée, gardiens silencieux d’une foi ancienne, veilleurs d’un passé immuable. Leur présence baignait le paysage d’une paix presque surnaturelle, comme un souffle sacré égaré dans le tumulte du monde.

J’ai traversé des oueds asséchés, crevasses béantes sous le soleil de mai, témoins muets d’eaux disparues. Ces lits désertés racontaient, en silence, l’histoire d’une nature en attente, d’un passé qui s’efface sans se rendre, conservant sa dignité profonde, sa force endormie. C’était l’écho d’une vie ancienne, une énergie première en sommeil, prête à jaillir de nouveau.

Ce voyage n’avait rien d’une simple escapade. Il fut un cheminement intérieur, une quête de résonances. J’ai franchi le seuil du cimetière, sanctuaire de pierre et de lumière, où reposent désormais mon père et mes grands-parents. À l’écart du village, blotti dans le creux des collines, le silence y est profond, peuplé de souffles et d’ombres familières. Chaque tombe portait la trace d’un nom murmuré dans l’enfance, d’un visage entrevu à travers les récits. Le vent y passait doucement, comme une voix discrète entre les vivants et les absents. C’était un moment de recueillement, une reconnexion essentielle à ma lignée, une ancre dans l’histoire des miens.

Mes pas m’ont ensuite conduite jusqu’à la maison de mes grands-parents, aujourd’hui en ruine. Les murs lézardés, les ouvertures béantes laissaient deviner la vie d’autrefois, les gestes du quotidien, les rires, les silences. J’ai respiré l’absence, mais aussi la persistance. Malgré l’abandon, tout semblait encore habité : l’odeur du pain chaud, la silhouette d’une grand-mère courbée sur le foyer, l’éclat d’un regard tendre. C’était une page déchirée du grand livre familial, mais dont l’encre refusait de pâlir.

À la tombée du jour, le village ne perdait rien de son mystère. Bien au contraire, la nuit lui conférait une profondeur nouvelle. Je sortais après le dîner, attirée par cette magie discrète que seuls les cœurs attentifs savent capter. Sous les étoiles, les maisons devenaient confidences, les ombres dansaient, et les bruits du soir, un aboiement lointain, une voix qui résonne dans une cour, le frémissement des figuiers composaient une symphonie d’intimité. Les figuiers de Barbarie, aux silhouettes étranges, sentinelles muettes et exotiques, ajoutaient à la scène une étrangeté bienveillante. La nuit révélait une intimité que le jour ne montrait pas.

Le séjour fut aussi une célébration des sens. J’ai retrouvé des saveurs anciennes : la galette croustillante cuite sur le tajine, dont l’odeur seule suffisait à faire surgir une foule d’images. Dans chaque cour de maison, la vigne tendait son ombre apaisante, le basilic embaumait l’air de son parfum vif, le meskellil libérait ses notes poivrées, et le jasmin en fleurs exhalait ses effluves suaves au crépuscule. Chaque souffle d’air portait une mémoire, chaque arôme racontait une histoire.

Mais plus que les lieux ou les saveurs, c’est la chaleur humaine qui a touché mon cœur. J’ai été accueillie avec une générosité rare, dans des maisons où l’on m’a ouvert bien plus que des portes, des âmes, des sourires, des souvenirs. Autour d’un thé à la menthe fumant, les conversations coulaient, profondes et simples, comme l’eau d’une source ancienne. Cette hospitalité sincère, cette attention offerte sans attente, étaient un rappel éclatant de la richesse des liens humains, de cette fraternité qui résiste au temps.

Ce séjour fut un baume pour l’âme, une parenthèse lumineuse. Le village, entre contrastes et continuités, m’est apparu comme un livre vivant, un tissu de mémoires et de présences. En le traversant, je sentais la présence de mon père, non comme un souvenir lointain, mais comme une vibration discrète dans chaque pierre, chaque souffle d’air, chaque trace laissée par ses pas. Il est des racines invisibles qui s’ancrent bien au-delà du visible et ce village en est le cœur battant, le sanctuaire silencieux de mon lien le plus profond.

Le départ fut une déchirure discrète, mais profonde. Quitter cette terre gorgée de mémoire, ces visages ouverts, ces paysages habités, c’était s’arracher à une part de moi. Ce lieu n’est pas un simple point sur une carte ; c’est un refuge intérieur, une mémoire vive, une source secrète que rien ne pourra effacer.

Ce voyage n’était pas un retour en arrière, mais une avancée vers l’essentiel. Une plongée dans l’âme d’un lieu, d’un peuple, d’une lignée. Et désormais, j’en suis certaine, ce village des hauteurs de l’Ouarsenis, même si je ne l’ai pas habité, demeure à jamais une part essentielle de ce que je suis.

Mai 2025

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Commentaires

  • Remy Mauduit
    • 1. Remy Mauduit Le 14/06/2025
    Merci pour ce magnifique texte, empreint de justesse, de retenue et de sincérité. Tu as su exprimer les sentiments du retour avec une délicatesse rare, loin de tout pathos ou nostalgie excessive. Ce qui touche profondément ici, c’est la sobriété du ton, la manière dont le village est décrit non pas comme un décor figé mais comme un lieu vivant, transformé, habité par la mémoire.
    Le passage du temps n’est pas nié : il est regardé avec lucidité, mais sans rejet. Et dans cette lucidité, il y a une forme de paix. Le village n’est plus exactement celui de l’enfance, mais il reste un point d’ancrage affectif, une empreinte indélébile. Il te reconnaît, et tu le reconnais — même dans ses ruines, ses absents, ses silences.
    Ce texte fait écho à une émotion universelle : celle de revenir là où tout a commencé, non pas pour retrouver le passé, mais pour honorer ce qu’il a laissé en nous. Merci pour cette belle méditation sur le temps, l’appartenance et la fidélité aux origines. Elle continue de résonner longtemps après la lecture.
    — Remy Mauduit, auteur et lecteur attentif
  • Djamila
    • 2. Djamila Le 13/06/2025
    On croyait lire un simple récit, et voilà qu’on se retrouve les pieds dans la poussière du village, Bravo Noria pour ce voyage à cœur ouvert.

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