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Par Foudil Ourabah

  • La grandeur de l'Émir

    L'émir Abdelkader a écrit le texte qui va suivre dans une cellule de prison, probablement au Fort Lamalgue à Toulon, dans le courant du mois de janvier 1848. Un texte aux belles envolées littéraires dont les accents rappellent Goethe et Chateaubriand, ses presque contemporains :

    "Quelle perplexité est la mienne ! Que faire ? Je suis à bout de forces. Inutile ! À quoi bon poursuivre ? Vois ! Mon être tout entier est près de se diviser et de se disperser.La grandeur de l'Émir

    Tantôt je fonds comme la neige dans l’eau : elle fait retour à son élément originel et s’y dissout. À chaque fois que j’ai dit : « Voici l’issue ! » on la referme devant moi : je ne puis surmonter l’obstacle... J’implore un Protecteur et n’obtiens nul secours ; personne pour me donner asile ou pour me repousser ! Y a-t-il un remède à ce mal incurable ? Absurdité ! Folie ! Il n’y a plus d’espoir.

    Si tous les trésors du monde étaient déposés à mes pieds, si tous les trésors de la terre pouvaient tenir réunis dans les pans de mon burnous et s’il m’était donné de choisir entre eux et ma liberté, je choisirais ma liberté. À chaque fois que j’imagine à tort quelque répit je me vois plus accablé encore. Mes entrailles sont des feux de désir, des brasiers. Dût l’ensemble des mers se déverser sur eux redoublant leur ardeur. La brise légère du Nedj en se mouvant les embrase ; des vents de toutes sortes les attisant tour à tour. Même si je buvais toute l’eau de la terre, je ne pourrais étancher ma soif. Chaque fois que j’ai dit : « Nos demeures à présent sont proches ». Je n’ai pu me consoler d’eux : la proximité gonfle ma peine. Elle ne m’apporte aucune guérison pas plus que l’éloignement n’est profit.

    La proximité ? C’est l’amour qui me ravage et me laisse éperdu. L’éloignement ? C’est un désir ardent qui me scinde et me déchire l’âme.

    Ô mon cœur blessé, qu’ils soient proches ou lointains. Le remède est inaccessible et je demeure en ma folie ! O cœur de mon âme, tu fonds sous la brûlure et le chagrin ! Ô mon regard, tu ne cesses d’être noyé de larmes ! J’interpelle et questionne au sujet de cette âme, et c’est moi en vérité qui l’égare ;  la folie, on le dit, est de diverses sortes !  Éperdu, je vais en tous sens ; j’interroge qui je rencontre ; je n’évite ni marcheurs ni cavaliers. Je leur dis : « Celui qui me réunira à moi-même, où donc est-il : que je sois à lui pour toujours ? » J’interroge encore sur la haute terre où est l’emplacement de ma tente. Je recherche avidement... la fraîcheur des deux oasis, Demeures où sont mes campements de printemps et d’été. Depuis que je naquis jusqu’au temps où je devins semblable à la saison d’hiver..."