Fatima El MeGHnissi Décède le 30 Nov 2015
- Par Miliani2Keur
- Le 01/12/2015
- Dans Le coin de Miliani2keur
- 1 commentaire
Le Maghreb Pleure une intellectuelle de Grande Classe
Celle qui Avec son essai Le harem politique, remonte aux origines islamiques de la société musulmane et démontre, à travers une enquête minutieuse, comment le pouvoir masculin, fort de ses biographes, a évincé de l’histoire officielle le rôle politique joué par les femmes.
Elle démontrera comment des versets coraniques furent dévoyés dans une interprétation partiale au profit du machisme!
Un intérêt pour l'Art "Naïf" populaire et la condition sociale en général dans les pays Arabes.
Commentaires
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- 1. Meskellil Le 02/12/2015
FATEMA MERNISSI « AU SERVICE DE LA LIBERTE, DE LA CREATION, DE L’AMOUR »
« AU DEBUT, ETAIT LE VERBE »
Merci beaucoup vraiment Miliani2Keur pour cet hommage rendu à Fatima Mernissi auquel je suis très sensible. Je pensais sans me décider à en faire un moi-même… Merci beaucoup à Noria, cette femme qui a initié, favorisé l’expression de toutes et à tous, à partir d’un rêve qui a abouti : la création concrète de cet espace en dépit des difficultés qui ont sûrement jalonné cette entreprise. Le site comme reflet des soubresauts qui agitent la société algérienne confrontée aux transitions que vit le monde arabo-musulman, et a fortiori la société maghrébine…
Une autre icône de la littérature maghrébine féminine qui vient de s’éteindre, et qui n’a eu de cesse, sa vie durant, de se faire la porte-parole des femmes dans le monde arabo-musulman et même au-delà. Une enfance passée dans un harem et façonnée par lui au point de lui avoir fait choisir de faire des études de sociologie pour mieux défendre les femmes enfermées dans la culture de ce harem qui domine au Maroc comme dans le monde arabo-musulman, être la parole de ces oubliées de l’histoire que l’on entend pas et que l’on ne veut pas entendre. Assia Djebbar que j’ai déjà citée dans un post précédent en a aussi la porte-parole et dont je rappelle les propos « Parole, chant et écriture : que serait notre “ inspiration ” si elle n’allait pas à la recherche de cette bouche obscure, si elle n’allait pas boire au flux souterrain de la mémoire anonyme, des paroles invisibles, fondues, imperceptibles parfois… Cris étouffés soudain fixés, parole et silence qui se mêlent, tout au bord de la dilution ! ». Le recours de Fatema Mernissi à l’écriture répond à un besoin impérieux d’être et « faire être » toutes ces femmes prisonnières de la parole souterraine dans laquelle elles sont confinées, et où l’espace public leur est très difficile d’accès en raison justement de ces « hudud », frontières qui ne sont pas seulement matérielles, physiques, mais aussi intérieures. « Rêves de femmes, une enfance au harem » ou « Dreams of trespass » est justement un récit dont la trame de fond se situe dans les « hudud », les frontières des sociétés arabo-musulmanes, et où " L’éducation c’est apprendre à repérer les hudud, (…) pour un enfant, respecter les hudud veut dire obéir."
Kateb Yacine a dit à propos de l’écriture des femmes : « A l’heure actuelle, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre », et les femmes écrivaines à l’instar de Mernissi ou de Djebbar apportent en effet ce regard, cette sensibilité, cet enrichissement du vécu, de l’expérience de cet intérieur, et non seulement une observation en extériorité, neutre.
EXTRAITS CHOISIS
Du harem et de ses « hudud »
“Le concept de harem est intrinsèquement spatial, c’est une architecture où l’espace public, dans le sens occidental du terme, est inconcevable, car il n’y a qu’un espace intérieur où les femmes ont le droit d’exister et un espace masculin extérieur d’où les femmes sont exclues. C’est pour cela que la bataille actuelle de la démocratisation du monde musulman se focalise et tourne jusqu’à l’obsession autour du voile et l’enfermement symbolique des femmes (le monde arabe a l’un des prolétariats féminins les plus misérables du monde), et que dans les sociétés où la crise de l’Etat et sa remise en question sont radicales (…), on n’hésite pas à tirer sur celles qui se dévoilent. Car l’accès des femmes dévoilées à la rue, l’école, le bureau et le Parlement est un acte hautement politique et révolutionnaire, comme une revendication immédiate, non-voilée d’un espace public. Une femme voilée accepte la règle, le voile signifie : “ je traverse rapidement et secrètement cet espace que je reconnais être masculin”. Celle qui se dévoile se revendique comme citoyenne, et bouleverse du coup toute l’architecture non seulement sexuelle mais aussi politique, recréant donc par ce petit geste symbolique un Etat musulman qui reconnaît l’existence d’un espace public. […] »
« Si on connaît les interdits, on porte le harem en soi, c’est le harem invisible. On l’a dans la tête «inscrit sous le front et sous votre peau ». Cette idée d'un harem invisible, une loi tatouée à mon insu sous mon front, bien logée dans mon cerveau, me troublait terriblement. Je n’aimais pas cela du tout, et je lui ai demandé de m’en dire davantage …..L’idée de se promener avec une frontière, un harem invisible dans la tête m’a perturbée, et je portais discrètement la main à mon front pour vérifier qu’il était lisse, pour voir si par hasard je n’en étais pas dispensée. Mais alors, les explications de Yasmina sont devenues de plus en plus alarmantes. Elle m’a dit que tous les lieux où l’on entre comportent des lois invisibles. « Et quand je parle de lieu, a-t-elle poursuivi, je veux dire n’importe quel endroit, une cour, une terrasse, ou une pièce, parfois même une rue. Partout où il y a des êtres humains, il existe une qa’ida, une coutume, une tradition, une loi invisible. Si tu suis la qa’ida, rien de mal ne peut t’arriver». En arabe le mot qa’ida a plusieurs significations, qui ont toutes une base commune .Une règle mathématique ou un système légal sont une qa’ida de même que les fondations d’un bâtiment. Qa’ida est aussi la coutume, ou le code des mœurs. La qa’ida est partout. Elle a ensuite ajouté quelque chose qui m’a carrément effrayée : « Malheureusement, la plupart du temps, la qa’ida est contre les femmes. »
« La frontière est une ligne imaginaire dans la tête des guerriers. Cousin Samir, qui accompagnait parfois mon oncle et mon père dans leurs voyages, disait que pour créer une frontière, il suffit d’avoir des soldats pour obliger les autres à y croire. Dans le paysage lui-même, rien ne change. La frontière n’existe que dans la tête de ceux qui ont le pouvoir (…). Mais depuis lors, la recherche de la frontière est devenue l’occupation de ma vie »
DU REVE
« … Ainsi pendant ces soirées bénies, on s’endort en écoutant la voix de notre tante ouvrir les portes magiques donnant sur des prairies baignées de clair de lune. Et quand nous nous réveillons le matin, la ville s’étale à nos pieds. Tante Habiba a une petite chambre, mais une grande fenêtre dont la vue s’étend jusqu’aux montagnes du Nord. »
« La dignité c'est d'avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, si minime soit-elle, va changer quelque chose. »
« Vous êtes dans un harem quand le monde n'a pas besoin de vous.
Vous êtes dans un harem quand votre participation est tenue pour si négligeable que personne ne vous la demande.
Vous êtes dans un harem quand ce que vous faites est inutile.
Vous êtes dans un harem quand la planète tourne et que vous êtes enfouie jusqu'au cou dans le mépris et l'indifférence.
Une seule personne a le pouvoir de changer cette situation et de faire tourner la planète en sens inverse, et c'est personne, c'est vous. »
« Les mères devraient parler aux petits garçons et aux petites filles de l'importance des rêves, disait tante Habiba. "Il ne suffit pas de rejeter cette cour de harem, il faut avoir une vision des prairies que tu
voudrais mettre à sa place". »
« C’est une expérience bouleversante que de regarder le ciel quand on est dans la cour. D’abord, il parait terne, à cause de l’encadrement où les hommes l’ont piégé. Mais le mouvement des étoiles au petit matin, se fondant lentement dans l’intensité bleue, prend une telle force qu’il vous étourdit(…) »
« Le contact direct avec une rivière frémissante, des champs vibrant sous la caresse des brises, et des
ciels qui avalent les horizons estompe les frontières, et dissipe les hiérarchies. »
« Il faut multiplier ces contacts avec la nature. Un être malheureux est celui qui n'a jamais eu ce contact. Ceux-là peuvent s'abîmer dans la soumission. Mais je n'ai pas peur pour toi. »
« Les mots sont comme des oignons, me dit-elle. Plus tu ôtes de pelures, plus tu trouves de signification. Et quand tu commences à découvrir plusieurs sens, le vrai et le faux ne veulent plus rien dire. »
Je finis par un extrait de Joly Jean-Luc, Kilito Abdelfattah, « Les milles et une Nuits, du texte au mythe »
« Fatima Mernissi tente d’expliquer le rapport des femmes au savoir, et donc nécessairement au pouvoir. Elle souligne la mutation des valeurs : Shahrazade, femme cultivée par excellence, peut être perçue comme le symbole de cette mutation. Ce savoir est une des nouvelles donnes du monde actuel. Savoir le gérer et en doter toute sa population est une des stratégies que doit employer tout pays désireux de participer au débat international. L’auteur prône donc l’avènement d’une nouvelle ère où les potentialités féminines seraient valorisées et non occultées à cause d’une mentalité moyenâgeuse »
Désolée Miliani2Keur pour la profusion des extraits, j’ai un faible pour Fatema Mernissi ! J’ai dû me forcer pour écourter au maximum !! Encore merci pour cet hommage.
Repose en paix Fatema, Allah yarhmek wa ywessa3 3lik. Puissions-nous nous pencher et étudier et nous approprier le legs précieux qu’elle nous a laissé, et puissions-nous en avoir une lecture foncièrement positive et constructive.
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