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Par Meskellil

  • Chasse à l’outarde et à la gazelle : L’Algérie saignée à blanc

    Chasse à l’outarde et à la gazelle : L’Algérie saignée à blanc

    Par A. N. Messaoud (16-07-2015)

    À la limite entre les Hauts-Plateaux du Sud-oranais et du Sahara, le massacre des animaux sauvages protégés continue à faire reculer la biodiversité tant chantée sur tous les toits des instituts de recherche et des administrations. Les deux principales espèces visées sont l'outarde et la gazelle. Les princes orientaux (Saoudiens, Qataris, Koweïtiens, Émiratis), qui organisent des «safaris» sous ces latitudes, sont souvent accompagnés et protégés par les services de sécurité algériens. Sur le plan légal, on ne sait s'il faut parler de braconnage au sens que lui donne la loi sur la chasse, ou de «récréation» légalisée par le droit régalien.

    En tout état de cause, ces visites quasi régulières, qui mobilisent toute une logistique dans les espaces désertiques de Naâma, El Bayadh, Bougtob, Brizina, Ouled Sidi Cheikh,…etc., sont à l’origine de la régression du patrimoine animalier, qui plus est, figure sur la liste des espèces protégées. La campagne, si on se permet de lui donner ce nom, commence dès le recul des grandes chaleurs, en octobre. Les chefs, généralement d’ascendance princière, emmènent avec eux des serviteurs et des factotums asiatiques, comme en connaissent bien les pays d’origine de ces chasseurs. Les serviteurs viennent du Pakistan, du Bangladesh, des Philippines, du Soudan,…etc.

    Grave atteinte au patrimoine faunistique

    Au cours de ces dernières années, l’on a pu nous donner cette «consolation» consistant pour certains princes à aider les Algériens à reproduire partiellement l’espèce d’Oubara (outarde) par couvaison d’œufs reproducteurs et élevage d’oisillons. Pour la gazelle, rien n’a été fait pour remédier à sa régression sur ses aires naturelles. Parfois, les «braconniers» recourent aussi à d’autres formes de «marchés», comme le don fait par l’émir du Qatar, Khalifa Ben Hamad Al Thani en 2013 à la wilaya d’El Bayadh consistant en la construction d’un hôpital pour cancéreux de 30 lits.

    Outre ces «campagnes» connues et programmées dans le temps, d’autres formes de braconnages se produisent quasi régulièrement et visant souvent la gazelle dite Legmi. Ainsi, des Koweïtiens et Saoudiens, en plus des Algériens, ont été déjà surpris par la gendarmerie en train de chasser cet animal protégé par la loi.
    L’on sait que certains parmi ces encombrants visiteurs orientaux, se sont, au cours des dernières années, prévalus de certains appuis dans les sphères de décision algériennes pour justifier une grave atteinte au patrimoine faunistique du pays qui est, d’ailleurs, en train de connaître une forte régression. Les braconniers jettent généralement leur dévolu sur l’outarde dont le foie, assurent-ils, serait un bon aphrodisiaque pour des corps prématurément blasés ou pour des âmes fortement désappointées. Il aurait apparemment des effets plus efficaces et beaucoup moins nuisibles que le Viagra.

    Début de prise de conscience

    Les gestionnaires des espaces naturels algériens, conscients du danger qui pèse sur la richesse naturelle animale, ont été à l’origine de la législation dont l’aspect coercitif est censé servir de moyen de dissuasion pour tous ceux qui seraient tentés d’altérer ou de porter atteinte à la richesse faunistique et floristique du pays. L’ordonnance du 15 juillet 2006 portant sur la protection des espèces animales menacées de disparition est claire à ce sujet. Elle punit d’amendes, et parfois de prison, les délinquants qui se seraient livrés à la chasse d’animaux sauvages protégés par la loi. Cette dernière s’applique également aux éventuels complices locaux qui auraient «permis, facilité, aidé ou contribué, par quelque moyen que ce soit, à la chasse ou à la capture, à la détention, le transport ou la commercialisation d’animaux ou parties d’animaux mentionnés sur la liste à l’article 3 de la présente ordonnance» . L’article 3 donne une liste de 23 espèces protégées menacées de disparition, allant du varan du désert jusqu’au guépard et aux cinq variétés de gazelles, en passant par les deux variétés d’outarde, le fennec, l’addax,…etc.
    Dans ce domaine précis, comme dans d’autres secteurs similaires où les équilibres environnementaux du pays sont en jeu, les scientifiques algériens et la société civile commencent à prendre conscience du danger qui guette l’avenir des milieux naturels, les ressources touristiques et esthétiques du territoire ainsi que les richesses du patrimoine culturel. Des pièces de musées algériens n’ont-elles pas franchi les frontières pour atterrir en Tunisie ou en France? Des tortues de l’Atlas n’ont-elles pas été écoulées sur les marchés informels d’Europe?

    Entre les textes et leur application: il y a loin de la coupe aux lèvres

    «Le 21e siècle sera écologique ou ne sera pas». Cette sentence d’un spécialiste aura-t-elle une oreille attentive sous nos latitudes, à Brizina, Ouled Sidi Cheikh, Naâma et partout ailleurs où la vie, enserrée dans le désert et menacée par l’action anthropique, sollicite protection, assistance et soutien? Et pourtant, l’Algérie s’est dotée des meilleures lois qui soient en matière de protection de l’environnement. Mieux, elle a adhéré à tous les protocoles et conventions internationales se rapportant à la protection et à la promotion de l’environnement sous toutes ses déclinaisons (zones humides, zones de montagne, parcs naturels, plantes et animaux menacés de disparition,…). Néanmoins, entre les lois et leur application, il y a comme un hiatus formé par des intérêts personnels ou de groupes qui ne sauraient être neutralisés par l’état actuel d’une administration prise dans la tourmente de l’instabilité de ses structures, de la médiocrité de la formation de ses agents et de la perméabilité de son corps aux différentes luttes d’intérêts.

  • De l’impression à l’expression

    Claude Monet / Ludwig Van Beethoven

    De l’impression à l’expression

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  • Boqala Fi Miliana

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    En hommage à nos anciennes et anciens qui nous ont légués un patrimoine, une Histoire, des histoires riches et diversifiés aux enseignements inépuisables, Allah yerhamhoum we ywessa3 3lihoum. Rebi ytouwel fi 3mor li mazalou m3ana nchallah.

    Je dédie cette page à Miliana, les amis, et à tous ceux sensibles à ce thème. Merci aux personnages très attachants d'un roman Algérien qui porte haut la spécificité de l'identité, de la culture algériennes, d'avoir inspiré cette modeste poésie. Des moments créatifs nostalgiques mais si ressourçants.

    Une contribution poétique et musicale nostalgique modeste qui se voudrait exprimer la force de la mémoire de certains faits structurants de notre moi national, comme le dit si bien cet ami, qu’il soit ici mille fois remercié pour ses multiples combats et luttes, ainsi que tous ceux qui œuvrent pour la préservation de notre précieux patrimoine.

     

    Qaâda Boqala fi Miliana

    Dhiyaf Rabi ! Merhba bikoum ! Tfedhlou !
    Haq el Melh li qsamneh wel Ma’ li chrabneh
    Wine rakoum ya wdjouh el khir yal ghaybin
    Ya li lbereh âmartoulna qlobna
    Bel el Mad’h, e’T’ariqa, w’Taâlil
    Bla bikoum lyoum t’ye’temna
    Merhba bikoum, yal hadhrin
    Bikoum t’nawret doueretna
    Fer’ha w’ baraka fiha melmoumine
    W’net’mennaw ydoum lkhir, esrour wel h’na
    El maqnine ezzine yghani bsout hnine
    Ysselli el khater we ynessi kol ghbina
    Qoftane bedh’heb metrouz wel âssaba min el hrir
    Serma ghaliat essoum w’ khelakhel b’fen menqocha
    Prenez place, délassez-vous
    Rafraîchissez-vous, parfumez vos palais
    Cherbet limoun wela kass atay
    Qahoua be Zhar fi fendjel farfourî
    Douceurs au miel, amandes, confiseries
    Finesse, saveur, et raffinement
    Hab el mlouk ezzine, khiar el ma’koul
    We chbah esniwa houwa es salamoun
    Nuit profonde, nuit argentée, ya mahla’ha
    En’ndjoum wel qmar zedou fi b’haha
    Ward, fell, hbaq w’yasmine
    B’ôtorhoum âla lqaâda me ddefqine
    Henna, swak, ânber w’ôtour
    W’mâahoum el djawi fe enafekh bkhour
    Écoutez ya hadhra, écoutez el Fâl
    Hadh el Fâl âlina nour
    Besmellah bdite, wa âla nbi sallite
    Likoum ya hadhra hadhel Boqala nwite

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  • Oriental Feeling

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    Bonjour amis, amis du site. Je tenais à vous dire mon plaisir de lire vos cris du cœur, vos élan de joie, ou sentiment de tristesse, d’indignation, de colère, de bien-être aussi, ou d’écouter les musiques proposées avec spontanéité ou encore d’admirer à nouveau le trait fin, minutieux, juste de vos créations originales, c’est toujours un plaisir Benyoucef, et j’aurais beaucoup aimé que l’histoire de Si Amar se prolonge encore longtemps.

    Quelques noms me viennent et si j’en oublie veuillez m’en excuser. Je citerai tout d’abord Noria notre hôtesse qui, sans elle, rien de tout cela ne serait possible, M. Benabdellah, l’ami et grand frère Ferhaoui, Miliani2Keur, M. Midjou, A. Arbouche, A. Bouaïch, A. Belfedhal, Chantal… . Merci à vous tous ainsi qu’à ceux absents, mais présents, j’en suis certaine, et que je salue. Et bien que je ne fasse pas de commentaires, croyez-bien que j’ai grand plaisir à vos diverses et attendues expressions.

    Merci à toi Noria, merci à vous.

     

    Rima commence sa carrière à 8 ans, et devient deux ans plus tard membre important de la Beirut Oriental Troup for Arabic Music. Soliste à 11 ans, elle se lance dans un répertoire réputé être le plus difficile de la musique vocale arabe. Plus tard, et diplômée de l’Université américaine de Beyrouth (une pensée solidaire pour le Liban qui n’en finit pas de s’enfoncer dans une crise multiforme sans précédent), et du Conservatoire national supérieur de musique, elle enseignera le chant plusieurs années durant.

    En qualité d’invitée exceptionnelle des Massachusetts, elle enseigne le chant classique et le chant arabe à l’Université de Mount Holyoke dans le cadre de l’Arabic Retreat. Elle se spécialise aussi dans les répertoires arabes vocaux traditionnels de Sayyed Darwish et Wadieh El Safi,et se produit dans tout le Moyen Orient, en Europe et aux Etats-Unis... Elle collabore avec divers musiciens de renom Irakiens, Hollandais, Américains, Libanais à l’instar de Ziad Rahbani fils de Feïrouz entre autres. D’un enregistrement à l’autre, elle propose tout à la fois de nouvelles compositions et d’anciennes chansons, des mouwachahates ou encore des chansons de films autrefois interprétés par Sabah dont on se rappelle avec nostalgie le Allo Beyrout mine fadhlek….

    Dans les morceaux que j'ai choisis de vous faire écouter et qui m'inspirent calme, paix et sérénité, et on en a grandement besoin dans ce monde bouleversé, on retrouve sensibilité, sobriété, simplicité, grâce, douceur et émotion, des ingrédients précieux qui se fondent en une belle alchimie agréable à écouter, à regarder...

    Prenez soin de vous et bonne écoute

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  • Décalages

    D

    Réveil matinal. Nuit relativement calme. Sensation diffuse mais persistante de décalage qui tourne en boucle, me colle à la peau. Depuis quand déjà ?

    J’ai un truc urgent à faire dès ce matin… Je déjeunerai après…

    Les clés de la voiture, les papiers, le GPS, précieux compagnon quoi que pas toujours utile. Je prends l’ascenseur qui se meut lourdement, blasé par ces va-et-vient permanents. J’aurais pu prendre les escaliers tout de même! …

    Tout est vert dehors. Les arbres n’ont pas encore atteint leur pleine maturité, ils prennent leur temps pour s’épanouir... Pâquerettes, boutons d’or…, plus de violettes, dommage, c’est fini. Boutons d’or ? Tiens ! C’est nouveau ! Une toile immense verte parsemée de tâches blanches et jaunes. Un vrai ravissement ! Une brise intérieure tiède, légère, douce, traverse mon être. Il pleut… Le soleil chaud, bienfaisant me manque…, il aurait donné un éclat exceptionnel à ce magnifique tableau…

    Quelques marches et me voilà devant l’entrée du parking souterrain collectif. L’esprit vaporeux, inconsistant, immatériel, flottant… j’ouvre la première porte qui donne sur une sorte de sas. Je change de clé, ouvre la seconde porte… Parfaitement grotesque, injustifiée cette frénésie à vouloir se barricader, barricader ses biens, s’y accrocher désespérément, comme à un fétu de paille dans une mer houleuse… se barricader contre qui, contre quoi ? Complètement absurde ! Déphasage total !

    J’arrive au garage, une odeur familière de gasoil me prend à la gorge. Désagréable. Il aurait besoin d’être nettoyé à coups de Karcher ce parking ! Tiens ! Ça me rappelle quelqu’un ! « Descends là que je te casse la gueule » avait-il vociféré!

    C’est le weekend, le parking est plein à craquer de voitures. Il faudra plusieurs manœuvres pour en sortir…

    Je monte dans la voiture, me demande si le moteur est en phase, je tourne la clé. Il me répond joyeusement ! Bingo ! La radio réglée sur Nostalgie la dernière fois se met en marche aussi. Pierre Bachelet crie avec une impuissance poignante, infinie « et moi je suis tombé en esclavage… ».

    L’esprit toujours dispersé, insaisissable, je prends la route familière. Tout est là, bien en place, bien en ordre, propre, rectiligne. L’ordre aseptisé aujourd’hui, le désordre grouillant et indiscipliné hier! Excessifs l’un comme l’autre! Décalage encore spatial, temporel…

    Je finis de faire ce que j’avais à faire, et me dirige vers une grande surface, un véritable monstre. Ça vient d’ouvrir. Quelques victimes sont déjà là profitant de l’aubaine si rare d’un lieu de haute consommation presque désert, habituellement débordant, repu de gens et de victuailles, jusqu’à la nausée, jusqu’à l’épuisement. Je réalise que j’en fais partie puisque je suis là… Je m’arrête…

    J’ai envie de jus d’orange frais ! Je m’enfonce dans une débauche de lumières artificielles, froides, agressives… Mon soleil n’est plus. Il m’a lâchée à moins que ce soit moi qui l’ai lâché… Pulsion, phasage hier, déphasage aujourd’hui… Fin de cycle…Un nouveau commence plus complexe, incertain, inédit...

    Je passe par le rayon des fleurs. Promotion – 40% sur les brins de muguet porte-bonheur. Je cède à la tentation comme à la tradition d’offrir des brins de muguet. Je me fais plaisir et m’en offre deux. Ils sentent divinement bons. A nouveau je me sens en phase, et ressens cette tiédeur agréable palpitante se répandre en moi. Mon esprit me rejoint. Je suis bien. L’instant de cette fragrance printanière pleine, tonique, pétillante. L’éphémère se prolonge, mais sans l’enchantement de la première fois. Je passe en caisse puis quitte rapidement ce lieu.

    J’ai envie de croissants chauds. Je vais à la boulangerie du coin. Là aussi promotion. Pour trois croissants achetés, le quatrième est offert. C’est la toute première fournée du matin. A peine tiède. Tant pis. Distraite, je le suis. La vendeuse me sourit poliment et me fait répéter ma commande. J’ai l’impression de hurler « Six croissants s’il vous plait ». La vendeuse qui est là depuis longtemps a perdu son entrain et sa joie de vivre légendaire avec le changement de propriétaire. Elle avait des échanges personnalisés avec tous les clients, et avait pour chacune et chacun une attention particulière, un mot gentil. Les échanges se sont réduits au strictement utile, vendre. Je lui tends l’argent. Elle me rappelle que c’est la machine qui encaisse et rend la monnaie. Je l’oublie toujours. Décadence et déshumanisation. Décalage perpétuel éprouvant. La vendeuse grimace un sourire. Une ombre assombrit son regard, et me contamine.

    Je repars vers le parking. Tant d’espace ! Non, les gens n’étaient pas allés à la manif du 1er mai, les revendications, ce sont les autres qui les font. De toute façon, ça ne sert à rien ! Résignés, fatalistes. Tiens, j’ai déjà vécu ça, seulement hier ! Les jours et les propos se ressemblent dans un monde où tout s’achète et tout se vend, y compris son âme ! Les gens se nourrissent, se gavent à leur télé ou à leur ordi, du Fast Food en continu. Question d’optique…

    L’esprit imprégné d’un certain désordre -qu’est-ce qu’on prend vite le pli, el welf kif sahel!- je grille allègrement stops et sens interdits. Ce n’est qu’un immense parking clairsemé de voitures après tout ! Je reprends la route du retour, l’esprit toujours en vogue, « Opération déstockage de matelas Haut de Gamme le 1er, le 2, et le 3 mai » lis-je sur une pancarte opportuniste. Le message s’insinue sournoisement dans mon esprit. Et si je changeais de matelas ? Mais de quoi, le matelas ? Il est très bien mon matelas ! « Souviens-toi, c’était un jeudi… », Joe Dassin chantant sur Radio Nostalgie. En phase, je fredonne le refrain à l’unisson avec lui, entre dans son histoire, l’esprit à nouveau vagabond…

    J’arrive presque lorsque je vois, bonheur absolu, des lilas en fleurs. Ils sont là, libres, accessibles, offerts aux sens. Aucune clôture ne les enferme. Ils sont à tous. Pour l’instant! Harmonie parfaite. Je m’arrête, m’en approche, le cœur et l’esprit aériens. Je fourre mon nez dans les grappes et commence à les humer longuement, profondément. Un parfum si subtil, si sensuel, si addictif... Grisant! Ephémère le lilas. Un mois tout au plus. Jaloux de l’authenticité de son parfum, au même titre que le muguet encore plus fugace. Tous deux refusent catégoriquement de se livrer aux parfumeurs, les contraignant aux compositions de synthèse. Belle résistance…

    Enfin, j’arrive, les bras chargés de fleurs, de croissants et de jus d’orange frais. Je mets en route la cafetière, mets les lilas dans un grand vase, le muguet dans un autre plus petit, les croissants au four pour les chauffer. Le café fume et exhale son arôme irrésistible ! Je me mets à table et déguste le jus, le café, les croissants, les fleurs aussi. Un moment de plaisir, de bien-être simple mais intense. Je me sens bien, si bien, phasage total…Tout comme hier sur le banc d'un jardin sous ces grands et beaux arbres.

    Phasage, déphasage ? Et si c’était simplement une question de regard, d’écoute, de réceptivité, de compréhension, d’ouverture, de confiance, de disponibilité, d’attention, de sincérité, de spontanéité....

  • Koul Nour / Amar El Achab

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    Koul Nour, et la lumière est partout dans cette vidéo d’abord par l’esthétique et la beauté de l’image en noir et blanc d’une netteté et d’une clarté incroyables, puis par cette qaâda unique de nos élégants musiciens, nos chyoukhs dans leurs vêtements traditionnels dont on reconnaîtra certains, le geste mesuré, le verbe maîtrisé, haut et harmonieux, ensuite par l’interprétation magistrale du jeune Amar El Achab à la voix douce, sensible, mélodieuse, et surtout très souriante, et enfin et non le moindre, le texte monumental de ce medh sublime, chanté dans une langue algérienne pure, belle, châtiée, riche, nuancée, et tellement profonde et lumineuse de son sens, de son essence qu’elle irradie de sa lumière l’âme sensible, réceptive, et ce ne sont que frissons de bout en bout. Un bijou ancien rare très précieux du riche patrimoine musical Algérien si cher à nos cœurs. Un seul regret : le medh, et c’est bien dommage, nous laisse sur notre faim sur la fin.

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  • BDS et Fleurs d’amandier

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    BDS le mouvement de Boycott Désinvestissement et Sanctions a été officiellement nominé pour le prix Nobel de la Paix 2018. Bien sûr, cela ne signifie pas que la paix revient au Moyen Orient, ou que le peuple Palestinien jouira de ses droits humains les plus élémentaires et plus encore, ou d’une paix juste et digne. Cette nomination réjouit cependant les cœurs et les esprits par sa symbolique, une brise légère d’espoir pour le peuple Palestinien, pour tous les peuples en lutte pour leur liberté, leur dignité. C’est également une grande réjouissance que les citoyens Palestiniens et les citoyens du Monde soient nominés à ce prix Nobel de la Paix grâce à leurs actions pacifiques mais néanmoins très actives, un mouvement qui s'amplifie de jour en jour. Ce n’est certes pas une lame de fond, mais tout de même des flots suffisamment tumultueux pour qu’Israël, les États-Unis et d’autres tentent d'endiguer en criminalisant BDS. Le prix Nobel de la Paix n’est pas encore gagné et la route de la lutte et de la résistance demeure longue, très longue… seulement le chemin de la lutte, de l’espoir bien qu’escarpé, accidenté est bien là aussi. Mahmoud Derwich, le poète Palestinien disait que la poésie de la résistance n'est pas uniquement militante, elle est aussi une poésie qui parle de vie, d’humanité, d’amour, de beauté, de liberté, de rêve, de fraternité, de solidarité, des choses simples de la vie dont le peuple Palestinien est privé…

    Une réponse à la guerre parce que cette poésie est résistance aussi, est une attente ardente du peuple Palestinien auquel le poète a répondu parce qu'"une poésie sans rêve tombe dans l’immédiat ". Et une belle rencontre entre Mahmoud Darwich et son peuple a fleuri, comme fleurit le symbole, l'espoir que fait naître cette nomination de BDS au prix Nobel de la Paix.

    Je vous propose une de ces magnifiques poésies, extraite du recueil « Comme des fleurs d’amandier ou plus loin » de Mahmoud Derwich, traduite de l’arabe par Elias Sanbar. Les amandiers sont en fleurs aussi en Algérie, à Miliana... amandiers, oliviers, cerisiers…. Fragilité et robustesse, beauté et délicatesse. Un univers de poésie, des vagues d'émotions, et la profondeur d’une sensibilité à fleur de peau, à fleur de vie. Tel était et tel restera Mahmoud Derwich avec sa sublime poésie.

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  • Brève histoire du voile

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    Histoire du voileDans les années 60, majoritairement, les jeunes filles ne se voilaient. Certaines d’entre elles portaient un treillis, une casquette, une arme, et se battaient contre l’oppresseur pour faire triompher la liberté, la justice. D’autres, voilées se servaient de leurs haïks pour convoyer argent, armes et autres documents, c’était le temps de la lutte pour que triomphe une Algérie libre. Pour d’autres jeunes filles encore, c’était une fois mariée qu’elles mettaient le haïk ou pas. Nos mères, nous les avons toujours connues avec le haïk et le 3jar (voilette). Voilées ou pas, à l’intérieur de leurs foyers ou à l’extérieur, les femmes ont été présentes, engagées, actives, pour l’atteinte d’un idéal commun : vivre dans un pays libre, indépendant, juste et équitable.

    Dans les années 70, beaucoup de jeunes filles qui avaient arrêté leurs études prématurément et ce, pour diverses raisons, se voilaient dès que leurs corps s’épanouissaient et suggéraient plus la femme que l’adolescente. Elles mettaient alors une gabardine (un imperméable de couleur claire généralement) et une toute petite pointe (petit foulard) assortie, et le 3jar bien sûr. C’était plutôt les parents et en particulier les pères qui imposaient ce voile qui ne couvrait ni les jambes puisque ces gabardines arrivaient juste au niveau du mollet, voire au-dessus, ni complètement les cheveux vu que les pointes en question étaient petites, tout comme les voilettes d’ailleurs. A cette époque-là, c’étaient les maris qui autorisaient ou pas leurs femmes à enlever ce voile. Parfois cela faisait partie des « Chrouts » (conditions) sur lesquelles on pouvait s’entendre avant de conclure un mariage. D’autres femmes, celles qui n’avaient pas besoin d’être affranchies par un père, un frère ou un mari, décidaient elles-mêmes de se défaire du voile. C’étaient en général des femmes divorcées ou veuves qui suscitaient la méfiance, la défiance en raison de leur statut de femmes « seules ». Bien sûr, ce n’était pas simple parce qu’elles devaient faire face à la désapprobation, parfois au dénigrement de la famille, et du voisinage.

    Dans les années 80, on commençait à voir des femmes portant des hidjabs. Cela restait assez marginal. C’était encore inhabituel, et cela surprenait un peu. Parmi les femmes qui portaient le hidjab, il y en avait qui revendiquaient timidement, discrètement leur liberté de choix, leur différence. D’autres plus offensives le revendiquaient haut et fort, et multipliaient les réunions et autres assemblées pour convaincre de la pertinence d’un retour aux préceptes de l’Islam. Celles qui ne le portaient pas, encore majoritaires en ce temps-là, affirmaient quant à elle leur choix de ne pas porter ce hidjab (le problème ne se posait même pas en fait), et n’arrivaient parfois pas même à comprendre ce qui avait bien pu motiver celles qui portaient le hidjab à faire ce choix. En ce temps, les unes et les autres se lançaient des gentillesses du genre : « yal kafrine wach rahou yastenna fikoum fi djahannam, ennar takoulkoum mane 3aynikoum ! » Les autres répliquaient : « ya les 404 bâchées, ya les frustrées ! » C’était aussi l’époque du vitriol et autres agressions physiques et verbales sur celles qui ne portaient pas le hidjab qui commençait.

    Dans les années 90, les femmes portant le hidjab étaient de plus en plus nombreuses. Une pression de plus en plus forte pesaient sur les autres femmes en conséquence. Beaucoup d’entre elles ont tenté de résister à cette pression, aux intimidations, aux menaces de représailles, aux représailles effectives même. Des pères, des frères, des collègues, parfois des femmes aussi, exhortaient les femmes réfractaires à porter un hidjab, à se couvrir les bras, la tête, les mollets pour être respectées, pour qu’on les laisse tranquilles, « essentri rouhek, raki bahdeltina, ou behdelti rouhek ! ». Ou alors, essentri rouhek, walla youkoutlouk ». Ces femmes, de plus en plus minoritaires ont progressivement fini par abdiquer, « choisissant » de mettre le hidjab par manque de choix ! Petit-à-petit aussi, nos mères ont également adopté le hidjab. Elles le trouvaient beaucoup plus pratique que le haïk, parce qu’il permet une plus grande aisance dans les mouvements (le haïk tel que porté non par nos grand mères était coincé dans la ceinture de leur Serouel Mdouar, ou retenu avec une Tekka (longue ceinture tricotée), ce qui libérait leurs mains. Souvent aussi, et surtout pour les femmes de la campagne, elles le faisaient tenir autour du visage en le coinçant entre leurs les dents (si, si je vous assure). Bon, il est vrai que ça ne couvrait que le menton ! Autre moyen une épingle à nourrice en dessous du menton. La manière dont les plus jeunes, portaient le haïk était plus compliquée. Une fois le haïk mis sur la tête, elles en prenaient les deux bords, les tiraient vers le haut pour le raccourcir, et mettaient le tout sous un bras qui devait rester serré pour que le haïk ne tombe pas. Pas évident d’y arriver avec un haïk glissant tout le temps ! Il faut un minimum d’expérience pour qu’il reste en place ! Avec la main de ce même bras, elles tenaient fermement le haïk sous le menton. Elles n’avaient donc qu’une main disponible pour tenir la main d’un enfant, pour tenir un couffin, un sac… Pas très pratique ! Et je comprends bien nos mères d’avoir adopté le hidjab même si je les trouvais belles avec leurs haïks en soie, leurs haïks El Mrama ! Et c’était une partie de nous-mêmes qui partait avec ce haïk. Mais là, n’est pas le propos.

    Dans les années 2000, la tendance s’est inversée, les femmes sans voile minoritaires devenaient très visibles comme l’étaient les femmes vêtues d’un hidjab dans les années 80. Les toutes jeunes filles « choisissaient » librement ou pas de mettre le hidjab. Il est à noter que les espaces déjà restreints des femmes, se rétrécissaient comme une peau de chagrin. Les sorties des femmes ont toujours été et sont toujours utilitaires. Elles vont d’un point à un autre. Leurs sorties ont toujours un but : travail, courses, hammam, coiffeuse, médecin, famille, amies. Il n’est pas question d’aller flâner, de sortir faire un tour, de trainer le pas, d’avoir l’air de na pas savoir où on va. Cela s’avère tout de suite très suspect ! Mais cela n’est pas bien nouveau ! Détail intéressant par rapport aux écrits du site : ceux des abnounettes sont plutôt tournés vers des souvenirs d’intérieur, ceux des ferroukhiens plutôt d’extérieur même si parfois il y a des exceptions.

    Mais, revenons au voile. Les années de plomb ont lourdement pesé sur les femmes, mais pas que, bien sûr ! Ça me fait penser à l’Espagne franquiste. Le pays avait besoin après près de 40 années de répression et de censure de vivre et de le manifester bruyamment ! La Movida (un pais que se mueve : un pays qui bouge) un mouvement collectif d’explosion de la vie, de la création, de la joie et du divertissement. Bon, je ferme la parenthèse, décidément je n’arrive pas à ne parler que du voile qui était le thème principal ! Donc, les hidjabs ont fleuri partout. Les motivations étaient diverses et variées : la foi et la conviction, la culpabilité et une sorte de rédemption, la facilité (plus besoin de se changer, de se coiffer pour sortir), l’opportunisme…. Les hidjabs étaient sombres, austères, uniformes, semblables. Cela a duré quelques années mais, c’était sans compter sur la capacité de la femme algérienne à s’adapter, à s’aménager une petite porte de sortie, à créer (même si influencée par les flots ininterrompus de séries égyptiennes qui se sont déversées dans les foyers des années durant. Certaines jeunes filles commençaient à parler couramment l’égyptien au détriment de l’algérien !), et voilà que je sors de mon thème, ah la, la !!
    A l’approche des années 2010, les hidjabs tels que décrits ci-dessus n’ont pas complètement disparu, mais ils sont devenus peu nombreux. L’air était à la couleur, à la fantaisie, à la personnalisation des hidjabs. Pour d’autres femmes, les jupes ou robes ont fait leur retour, mais en version longue, les vestes aussi sont à manches longues. Pour d’autres, ce sont des pantalons et des liquettes, pour d’autres encore ce sont les mêmes tenues vestimentaires qu’avant le hidjab. Les femmes ont retrouvé une certaine coquetterie, une envie de plaire et d’abord à elles-mêmes, prenant la main pour reprendre un peu les choses en mains, ne serait-ce que sur leur apparence. Comme tout un chacun et à-fortiori les jeunes, les jeunes filles aiment la vie, ont besoin d’exister, d’être vues et reconnues. Elles sont en « conformité » avec la tendance générale de la société qui va vers plus de contrôle, mais Il semble y avoir plus de tolérance dans les choix faits par les unes et les autres. Dans quel contexte ont grandi ces jeunes filles, et qu’ont-elles connu ? Et quel projet de société leur a-t-on proposé ? C’est la génération des années 90 !! Et ça recommence, je m’éloigne du sujet, bon je reprends l’histoire du voile.

    Les contextes socio-politico-économiques qui prévalaient en arrière plan de ces différentes périodes de mon histoire du voile sont volontairement tus. Je souhaitais surtout rendre hommage à la femme algérienne, la femme courage, qui a toujours su reprendre la voix qu’on a de tout temps essayé de lui confisquer, qu’on essaie toujours de lui confisquer, une voix de la résistance qui a toujours été au cœur de son combat face à ses détracteurs de tout acabit. Une voix de la résistance de tous les temps, de toutes les époques de son histoire, et de celle de l’Algérie. Cette fois-ci, je sors bel et bien du thème du voile, mais c’est volontaire ! Respect et admiration pour la femme algérienne voilée ou pas, là n’est pas la question !

  • TAGRAWLA/ YEMA TEDDA HAFI


     

    A MA MERE...

    Tagrawla "Yema Tedda Hafi" "Ô Mère Aux Pieds Nus"

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  • فاطمة المرنيسي

    Entretien avec Fatema El Mernissi

    Allah yarhmek Fatema, repose en paix!

    …Entretien avec Fatema Mernissi et Kenza Sefrioui, journaliste à la revue culturelle arabe du Maghreb «Souffles» au Maroc, à propos de ce qu’il se passe dans le monde arabe aujourd’hui, et de ce que l’on appelle « le printemps arabe » le 02/07/2011.

    -Vous avez beaucoup travaillé sur la situation des femmes et sur les moyens de leur libération. Quelle est selon vous l’évolution majeure de la condition féminine au Maroc et dans le monde arabe?

    Depuis 1991, j’ai arrêté de travailler sur la femme et j’ai commencé à travailler sur l’islam numérique, pour une raison simple : on a vu la première guerre du Golfe sur CNN, et on se réveillait à trois heures du matin pour voir les bombes sur Bagdad. Six mois après, il y a eu la première télévision panarabe, MBC, puis, en 1996, Al Jazira. Depuis, il y a plus de cinq cents satellites panarabes. J’ai réalisé qu’il n’y avait plus de séparation entre le public et le privé. Dans l’islam, l’espace privé, c’est celui de la femme; l’espace public, l’argent, la politique et l’économie, etc., c’est celui de l’homme. Or cette séparation a été détruite par les médias satellitaires : il suffit d’avoir la parabole et, dans chaque maison, la femme regarde un feuilleton turc ou la vedette qui lui plaît devant son mari. J’ai pensé que ça allait être une révolution fondamentale dans les mentalités. Il y a eu aussi l’accès massif des femmes aux médias et aux moyens de communiquer. Elles ne transmettaient pas seulement les nouvelles, mais elles les fabriquaient, et étaient devenues des vedettes.

    -Cette évolution technologique a-t-elle eu un impact sur le Printemps arabe?

    Pour moi, la révolution des jeunes de 2011 montre enfin cette transformation radicale de la culture, des mentalités et des repères, qu’ils soient sexuels, politiques ou économiques. Pour réaliser ce qui s’est passé, il faut vous rappeler que tous les contes des Mille et Une Nuits se terminaient par cette phrase: «L’aube attrapa Shéhérazade et elle se tut, car c’était la fin de la parole permise».
    Shéhérazade ne parlait pas la journée, parce que c’est l’homme qui parle la journée. Elle ne peut parler que la nuit. Maintenant, Shéhérazade parle sur Al Jazira non stop! Les productrices d’émissions sont d’une agressivité incroyable ! Elles vous coupent un chef d’Etat comme rien du tout ! On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé dans les rues lors de la Révolution du Jasmin ou du Printemps arabe, si on ne se rappelle pas que la technologie a déjà détruit les rapports de force et les rapports de soumission horizontale. On a l’air de découvrir Facebook, mais les satellites avaient commencé bien avant : dans la majorité des télévisions, on pouvait appeler ou envoyer des SMS. L’interactivité était déjà là. Les jeunes sont nés dans un espace interactif.

    Quels sont les autres apports de la technologie au niveau de la société?

    La technologie est un moyen de démocratiser les rapports entre les gens. Par exemple, les statistiques disent que les Marocains sont illettrés. Mais les statistiques de l’Etat, c’est de la blague. Quand j’ai écrit Les Sindbads Marocains, je suis allée à Zagora, et j’ai voulu acheter un miroir. Le vendeur m’a demandé 200 dirhams, j’ai dit 100 dirhams. Il m’a dit: «Non. Tu peux aller voir le prix sur mon site web parce que je n’ai pas de temps pour des gens comme toi ». Je lui ai dit: «Ah bon? Tu as un site?» Il m’a répondu: «Toi, tu as une voiture, un ordinateur, un téléphone, tu communiques avec la planète. Moi, je n’ai rien du tout. Ma vie dépend du touriste qui vient m’acheter mon artisanat. Donc j’ai besoin d’avoir un site pour montrer mes produits». Je suis restée baba et lui ai demandé ce qu’il avait répondu au dernier recensement. Il m’a dit qu’il avait répondu illettré, parce que s’il avait répondu alphabétisé, on lui aurait demandé quel diplôme il avait. Or il n’avait pas de diplôme et avait tout appris grâce à internet. Il parlait l’anglais et l’allemand, qu’il avait appris en regardant la télévision et en lisant de petits manuels, tels que L’Anglais en 5 jours. Donc les technologies ont permis aux gens d’être alphabétisés en dehors de l’école, qui est une semi-prison de l’esprit, puisque les profs n’ont pas bougé et ne connaissent pas l’interactivité. Et puis elles ont permis la remise en question de tous ceux qui détiennent le pouvoir, toute sorte de pouvoir. Dans le domaine économique aussi. J’ai fait une enquête sur une jeune femme qui vit dans le quartier populaire de Hay Karima, très modeste. J’ai été la voir chez elle. Elle a terminé sa thèse et travaille à des enquêtes. Elle vit dans une chambre minuscule avec sa grand-mère. La grande transformation de sa vie, c’est qu’elle a pu acheter un ordinateur portable avec une clé Inwi qui pour 10 dirhams, lui donne accès à internet pour 24 heures. Avant, elle payait 5 dirhams l’heure au cyber. Elle n’a pas d’espace privé, ni beaucoup d’argent, mais elle a la possibilité de se connecter avec le monde. Elle publie ses articles sur internet. Quand j’avais 23 ans, je n’avais pas cette possibilité. Envoyer une lettre coûtait beaucoup d’argent. Téléphoner coûtait extrêmement cher.

    Qu’est-ce qui fait, pour vous, la spécificité du mouvement du 20 février?

    Dans le Livre des Fous (Kitâb al-Hamqâ’), Ibn Jawzi dit qu’on reconnaît que quelqu’un est fou parce qu’il répond rapidement! Mais on assiste à l’émergence d’une société basée sur un leadership fondé sur l’écoute, et non sur le cri ni la violence. D’ailleurs, en Islam, il n’y a pas de centre, de personne sacrée. Même Mohammed est «bacharoun
    mithloukoum, un être humain comme vous». Comme il n’y a pas de hiérarchie pyramidale, on crée le leadership en se faisant aimer de ceux qui obéissent : «Pacifiez les rapports avec autrui (yassiru). Ne compliquez pas les choses (lâ tu’assiru)». C’est le hadith du Prophète rapporté par Bukhari dans son Sahîh. Pour moi, c’est l’effondrement de tous les pouvoirs de domination et la réémergence de la nécessité de négocier avec ceux qu’on dirige : ce sont des partenaires et non pas des esclaves. Donc un autre système est en train de se fabriquer. On me dit: «il n’y a pas de leadership». Peut-être qu’un nouveau leadership collectif est en train d’émerger. Pas une seule personne, mais peut-être un groupe. Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que le monsieur qui parle au nom de millions, c’est fini. C’est un fou. D’autre part, le mouvement est féminisé. Les hommes, les femmes sortent avec leurs enfants, toute la famille est dehors. On assiste à l’émergence d’une communauté basée sur le respect intégral de tous au sein du groupe. Ce que l’Occident ne connaît pas : l’Occident a l’individu, mais pas la communauté. Nous assistons à la naissance d’un individu adîb. Al-adâb, c’est être sensible au groupe: «l’art de l’autodiscipline et de l’introspection», selon le fameux dictionnaire Lissan al-‘Arab d’Ibn Manzour. L’adâb est cette sensibilité à autrui, au fait que tu n’es pas seul. Seuls les fous oublient les autres et s’évanouissent dans leur narcissisme. Quand on est normal, on est conscient qu’il y a le groupe, qu’il ne faut pas l’offenser mais le respecter. Ma théorie, c’est le adâb: la sensibilité, l’intelligence civique. Pour être heureux, il faut aussi servir les autres, et ne pas leur faire du mal.

    -Qu’est-ce qui vous frappe, au niveau de l’enjeu social de ce mouvement?

    Le plus évident, c’est le niveau politique et le niveau économique. Mais pour moi, c’est le niveau psychologique qui va demander le plus de temps. On assiste à une renégociation globale. Ce n’est pas uniquement entre le roi et le peuple, ni entre le roi et les partis politiques. Il y a un grand débat entre les différentes générations, entre les parents et les enfants. Tout le monde se remet en question. Pour la première fois, les parents se remettent en question. C’est pour ça que ça dérange tout le monde. On n’est pas habitué. C’est bien simple, ma génération, le mot clef, c’était « skout, tais-toi». Je n’ai jamais entendu quelqu’un dans ma famille me dire «parle, ma fille, dis-moi ce que tu penses». On dit qu’on insulte les vieux, ce n’est pas vrai. Mais c’est la première fois où la relation entre les générations est négativisée. Ma génération regardait les leaders, Allal El Fassi, Mohammed V, comme des dieux, en quelque sorte. De nos jours, tu regardes ton chef avec un œil critique. On attaque les politiques. Il y a plein d’insultes contre les intellectuels : c’est parce qu’ils ne sont pas dans la rue ! Les jeunes auraient voulu avoir ce contact avec eux. Plus que jamais, les jeunes veulent parler avec leurs professeurs, avec les intellectuels. Ce n’est pas une guerre entre les générations, c’est le désir de transformer cette relation. On ne veut pas un papa, on veut un nouveau père, ou une nouvelle mère, qui arrive à écouter l’enfant. La révolution du 20 février, c’est qu’on doit accepter que sa position de pouvoir soit déstabilisée, et c’est bon parce que ça apprend à être plus dans l’écoute. C’est pour ça que l’humour est important. Mais ça va prendre du temps. Ce que je trouve magnifique, c’est que les jeunes sont pacifiques. Ils ne veulent plus de violence. C’est le côté le plus important de ce mouvement. C’est pour ça, au lieu de leur tomber dessus en disant qu’ils sont avec les extrémistes – d’ailleurs, même les extrémistes sont transformés – on ferait mieux de réaliser qu’on ne peut plus être fort avec la violence. Les jeunes veulent un monde sans violence. Le fait de ne pas écouter, c’est de la violence. Le fait d’empêcher les gens de faire de l’humour, c’est de la violence, parce que l’humour, c’est voyager là où on ne t’attend pas, c’est traverser les ponts… On va dans un monde où les ponts seront toujours traversés et où Shéhérazade ne s’arrêtera pas à l’aube, elle continuera à parler toute la journée. Il faut que Shahrayar apprenne à ne pas être le seul à parler : Shéhérazade va changer le rythme parole, écoute…

     

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